samedi 14 mai 2011

HOMMAGE À HENRI DUTILLEUX


À 95 ans, Henri Dutilleux est un des grands artistes de la musique française contemporaine, un des rares Prix Ernst von Siemens (après Olivier Messiaen et Pierre Boulez). Mardi soir prochain, 5 avril, à l'Hôtel de Lauzun (Paris 4e), superbe bâtisse du XVIIème siècle jadis habitée par Baudelaire, un hommage lui sera rendu par le pianiste Cédric Tiberghien et le bassoniste Pascal Gallois. Ce dernier évoque pour nous le plus poétique des compositeurs.

Henri Dutilleux fête ses 95 ans en cette année 2011. Musicien majeur du XXème siècle, il est mal connu en France, son propre pays. Pourtant il a reçu les distinctions les plus importantes, ses œuvres, jouées régulièrement à l'étranger, ont été dirigées par les plus grands chefs d'orchestre (de Charles Münch à Seiji Ozawa, en passant par Daniel Barenboïm) et interprétées par les solistes les plus réputés (Rostropovitch, Renée Fleming,Anne-Sophie Mutter…). Le 5 avril, il sera célébré par le pianiste Cédric Tiberghien et le compositeur et bassonniste Pascal Gallois. Depuis une décennie ce dernier initie un rendez-vous musical annuel dans un lieu patrimonial parisien en conviant ses amis instrumentistes pour un hommage qui varie selon l'actualité. En 2006 pour les 250 ans de la naissance de Mozart, il a ainsi invité l'hauboïste Henri Lichtenberger, du Philharmonique de Berlin, et la flûtiste Juliette Hurel, du Philharmonique de Rotterdam, à venir jouer dans le cadre somptueux de l'hôtel de Beauvais, là où vécut le compositeur en 1778. En 2010, il a organisé une rencontre pour les 85 ans de Pierre Boulez. Cette année l'Hôtel de Lauzun accueille cette célébration. Situé sur l'île Saint-Louis où habite Henri Dutilleux (présent lors de cette soirée), il fut momentanément le domicile de Charles Baudelaire que le compositeur admire. Quel plus bel écrin pour le plus poète des musiciens ?


Baudelaire et les poètes ont-ils eu une influence sur Henri Dutilleux ?

Pascal Gallois : Henri Dutilleux a reçu de multiples influences, comme la peinture. Il est très proche des impressionnistes. Il ne fait pas partie des compositeurs qui se sont rassemblés dans une école ou une chapelle comme le groupe des Six ou le mouvement sériel autour de Pierre Boulez. Il est un peu seul et il est heureux comme ça. C'est ce qui le rapproche des poètes et particulièrement de Baudelaire.


Pourquoi est-il relativement peu connu du grand public ?

Son action a été importante, de 1944 à 1963, parce qu'il était directeur de programmation à la Radiodiffusion française. Les Américains ont été les premiers à le découvrir dès les années 50. Les grands orchestres lui ont passé commandes, les Anglais, les Japonais lui vouent un respect immense. Il est regrettable qu'en France on ne le sache pas. Cela ne vient pas de lui, mais des médias français qui ne s'intéressent guère aux musiciens. Mais il ne souffre pas de ne pas être aux premières loges. Il ne s'est jamais mis en avant.


Il s'inscrit dans la tradition musicale française et c'est aussi un avant-gardiste. Comment le définiriez-vous ?
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Il est à la fois sur le XIXème, le XXème et le XXIème. Il est né au beau milieu de la première guerre mondiale dans une famille d'artistes imprégnée par le XIXème siècle. Il ne se réclame d'aucune chapelle, il s'autocritique même sur ses propres influences. À propos de sa pièce 'Regards sur l'infini', il m'a dit, parlant de lui : « j'aurais dit à ce jeune homme qu'il y a un peu trop d'hommage à Gabriel Fauré, notamment dans les cinq dernières mesures. » Fauré n'attachait pas autant d'importance à l'orchestration, alors que chez Dutilleux elle est primordiale, comme chez Ravel. Il est également particulièrement apprécié parce qu'il est le plus grand orchestrateur à utiliser le timbre. Ce n'est pas un compositeur de musique tonale, comme on a voulu le classer, mais plutôt modale, comme Olivier Messiaen. Il a une grande ascendance sur les spectraux, la génération qui a émergé dans les années 80 (Gérard Grisey, Tristan Murail...). 


Dans ce programme vous vous êtes particulièrement intéressé à la voix…

En 1943, Henri Dutilleux a écrit un morceau pour piano et basson, un instrument qui l'a marqué par son aspect vocal. C'est le plus vocal des instruments à vent. L'anche double résonne dans la bouche, comme les cordes vocales. La respiration est proche du chant. Ces particularités, combinées à la grande tessiture du basson (avec trois octaves et demi il balaye le spectre des voix masculines et féminines), l'ont intéressé et je lui ai proposé d'adapter ses deux sonnets de Jean Cassou (1954). Il m'a également proposé 'Regards sur l'infini', sur un poème de la comtesse de Noailles. Ces poèmes seront d'abord lus par le comédien Alain Gintzburger. Avec Cédric Tiberghien nous en ferons ensuite la première version pour basson et piano. C'est intéressant parce qu'une adaptation avec un compositeur de son vivant devient une oeuvre originale.


Vous allez également interpréter trois pièces qui ne sont pas de lui…

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Comme je vous le disais, il est ancré sur trois siècles. Nous commençons avec une magnifique pièce pour basson et piano de Bruno Mantovani. Le directeur du Conservatoire de Paris, âgé de trente cinq ans, représente le XXIème siècle. Nous terminons avec une sonate de Camille Saint-Saens. C'est sa dernière œuvre, elle date de 1921, mais il aurait pu l'écrire en 1870. C'est une pièce de forme classique, importante bien que peu connue.


Henri Dutilleux compose t-il en ce moment ?

Il ne s'en est pas confié auprès de moi. Avec lui les choses prennent beaucoup de temps. Il n'a pas encore écrit son opéra ! C'est un coureur de fonds. Ce qui est touchant c'est qu'il ne s'est jamais senti comme un compositeur professionnel qui doit faire une carrière. C'est quelqu'un qui aime prendre le temps de la discussion, de la découverte, de la rencontre, notamment avec un interprète. C'est un poète dans sa vie.


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