samedi 14 mai 2011

LES FANTÔMES DE MORIARTY


De leurs propres aveux, les six membres de Moriarty, actuellement sur les routes de France, ont une case en moins, cette « missing room », titre de leur deuxième album. Un disque éclectique et électrisant né de leurs expériences lors de leurs tournées et qui comporte des « chansons élevées en plein air, massées à la bière, garanties sans engrais artificiels ! »

Leur premier album, 'Gee With But This Is A Lonesome Town', fut leur passeport. En 2007, le groupe Moriarty, qui avait tant rêvé une route à la Kerouack depuis leurs débuts en 1995, voyait leur utopie devenir réalité. Avec le succès, ils allaient avaler du kilomètre et des horizons, apporter sur les scènes du monde leur Americana fantasmée, à coup de sons sans frontières, de cordes emmêlées, d'humour noir et d'harmonica. Au fil du voyage, le groupe a glané la matière et les histoires de 'The Missing Room', disque voltaïque, où il est question de manques et de fantômes, portés par la voix éthérée de Rosemary. Unis comme les cinq doigts d'une main, ces frères et sœur d'élection – Rosemary, Charles, Arthur, Thomas, Stephan et Vincent Moriarty – répondent malgré la joyeuse cacophonie d'une seule voix, fraîche et décapante.

En mars dernier, vous avez investi la salle du Trianon, pour une semaine de concerts à guichet fermé... Que vous a apporté cette résidence ?

C'était la première fois qu'on jouait aussi longtemps dans un théâtre, qu'on transformait un lieu de concert en notre habitat provisoire. On est tombés fous amoureux de cette bâtisse aux allures de maison hantée, ancien temple du cinéma bollywood, qui laissait affleurer tous les fantômes. Dans notre guesthouse, on a accueilli plein d'invités : un joueur de théorbe, Moriba Koïta, un virtuose du luth malien et conteur extraordinaire, un quatuor à cordes... Tous ces amis proviennent de rencontres sur la route. Ces sept jours, il y a avait de la magie dans l'air, une étincelle palpable, tangible ! 


Les lieux dans lesquels vous jouez, comme certaines églises, influencent-ils votre musique ?

 Zoom
Stephan notre contrebassiste aime dire que le lieu constitue le sixième membre du groupe. Selon l'environnement, nous ne sonnons pas de la même façon et l'inspiration s'y révèle différente. L'histoire et l'aura de l'endroit nous parlent énormément, nous transmettent leur énergie. À l'image de beaucoup de groupes US et anglais qui jouent dans des endroits insolites, nous avons décidé de nous produire dans des églises. À Cologne, nous avons ainsi testé l'acoustique d'une paroisse où le pasteur était carrément fan de rock. Il y aussi ce souvenir fort, dans la Chapelle de Le Corbusier à Ronchamp, en Haute-Saône : le public mêlait des mélomanes et des architectes, et les 0° de cette soirée matérialisait le chant de Rosemary en un souffle de givre. Un halo de mystère nous enveloppait. Nous ne sommes pas religieux : peut-être juste complètement mystiques et fortement empreints de spiritualité ! 


Pour ce disque, 'The Missing Room', la tournée a précédé le studio... Votre album s'est-il nourri de la route ?

Lorsqu'on écrit une chanson, elle possède rarement sa forme définitive : elle reste perméable à l'environnement, aux réactions du public, à nos propres émotions... On voulait donc que nos titres s'imprègnent de cette énergie ! C'est toute la différence entre un animal qui grandit dans la cage d'un studio, et celui qui croît en liberté, sur la route. Nos morceaux ne sont pas des poulets de batterie, mais des chansons élevées en plein air, massées à la bière, nourries à la vie, garanties sans engrais artificiels ! 


Que signifie votre titre 'The Missing Room' ?

 Zoom
Comme nous procédons de votes démocratiques à l'unanimité, c'était le seul titre sur lequel nous étions tombés d'accord. Il y a plusieurs strates d'explication. Pour suivre la philosophie d'un Georges Pérec, nous essayons de « faire collection » (en photographie) des innombrables chambres dans lesquelles nous avons dormi (hôtels, péniches, pensions...). Quid de celles que nous oublions ? Par ailleurs, 'The Missing Room' désigne cette « case en moins », qui nous définit tous. Elle signifie aussi la pièce cachée d'une maison, celle de Barbe Bleue par exemple, d'où émergent tous les mystères, tous les secrets, tous les malaises. Enfin, 'The Missing Room' se réfère au « Ma » japonais, concept intraduisible en Français, qui désigne l'espace entre deux choses, le vide entre deux murs, entre deux mots, entre deux notes... De ce lieu défini en négatif, émerge tous les possibles.


Que racontent votre musique et vos textes ?

Ils relatent notre film noir, ce destin qui finit toujours par rattraper le héros, même lorsqu'il se rebelle face à la fatalité. Il y est question de femmes, d'hommes, de pertes, de ruptures avec l'enfance, de mort, de manque... Mais nous ne sombrons jamais dans le pathos. Il y a toujours une bonne dose d'humour, d'absurde, de cocasse ! Nous voyons nos musiques comme de belles cérémonies d'enterrement, avec de la tristesse mais aussi de la joie, du majeur, du mineur, des couleurs ! 


Vous parlez aussi de fantômes... Qui sont-ils ?

Ce sont toutes ces histoires que l'on a croisées sur la route, et qui volent dans l'air comme les lettres planent dans ce Mémorial des Lettres Fantômes de Nagano, ces missives qui ne sont jamais arrivées à leur destinataire. Et puis, il y a toutes ces âmes, nichées dans les objets/instruments aux longues vies... Sur scène, il y a nous et les esprits.



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